De forme pyramidale, ce panneau en bois de peuplier est peint à la tempera. Il s’agit d’une technique consistant à lier les pigments grâce à l’utilisation de jaune d’oeuf, caractéristique de la production toscane des XIIIe et XIVe siècles. La peinture est rehaussée de dorures à la feuille, pour le fond de la composition et certains détails. Les « fonds d’or » sont directement hérités de la tradition artistique byzantine. Particulièrement présente au XIIIe siècle, après les croisades qui entrainèrent une importante venue d’oeuvres orientales en Italie, la « maniera greca », témoignant de l’impact immense de la peinture byzantine sur le renouvellement de la peinture occidentale, perdure jusqu’à la fin du XIVe siècle lorsqu’une volonté de naturalisme engage les artistes à se focaliser sur la représentation des personnages et du paysage. Ce fond d’or confère un caractère profondément divin à la composition. Au centre de celle-ci se trouve un majestueux trône architecturé, épousant la forme du tableau, posé sur un sol pavé et décoré de motifs géométriques. 

La Vierge siège sur ce trône, alors représentée en Maestà, c’est-à-dire, Vierge en Majesté. Un profond intérêt est conféré à son attitude maternelle. En effet, la Mère de Dieu, tient son divin Enfant dans ses bras, assis sur ses genoux, avec une grande douceur. Elle est vêtue d’une belle robe rouge et couverte du traditionnel manteau bleu, allant de sa tête à ses pieds, dans lequel elle enveloppe tendrement le Christ. L’Enfant Jésus fait un signe de bénédiction avec sa main droite et tient un oeillet rouge dans sa main gauche. Cette fleur serait née, selon la légende, des larmes de la Vierge tombant au pied de la croix du Christ mort. Cet attribut floral possède donc une double signification, d’une part il est le symbole de la souffrance maternelle éprouvée par la Vierge, et d’autre part, sa couleur rouge est une préfiguration de la souffrance future du Christ et de son sacrifice pour l’humanité. Le caractère divin de cette fleur est d’ailleurs souligné par l’étymologie de son nom grec, Dianthus, combinaison des mots Dios (Dieu) et anthos (fleur). 

Le trône est flanqué de chaque côté de deux couples d’anges auréolés, tandis qu’au premier plan se trouvent deux saints. A gauche, Saint Pierre tient fermement son attribut principal, en tant que gardien du Paradis, une clef, qui est une référence à la phrase prononcée par le Christ d’après l’évangile selon Saint Matthieu (16. 19) : « Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux. ». De l’autre côté du trône, Saint Paul lui fait face. Il tient l’épée de son martyr dans sa main droite. Les deux Saints portent des livres soigneusement reliés. 

Seule la Vierge, qui par son rôle d’intercesseuse entre le Ciel et la terre a une valeur protectrice, regarde en direction du fidèle. Son regard profond et bienveillant accompagne le croyant dans sa prière. D’autre part, comme dans les Maestà de Giotto et de Duccio, conservées dans la salle des Maestà des Offices à Florence, les anges et les saints ne regardent pas le spectateur mais ont le regard tourné vers la Vierge et son divin fils. Le tableau est réalisé du point de vue du croyant. Par conséquent le fidèle est invité à suivre l ’exempl e de s s a int s pe r sonna g e s représentés, et à imiter la trajectoire de leur regard. Le croyant regarde l’image de Dieu et non pas l’inverse. Cette pratique d’assimilation du croyant aux saints est caractéristique du Bas Moyen-Âge. Elle plus largement connue sous le nom d’Imitatio Christi, c’est-à-dire imitation de la vie du Christ, et par extension, de la vie des personnages Saints, dont le culte se diffuse particulièrement à cette époque en raison de leur accessibilité en tant que modèles. 

Ce travail introspectif et personnel s’intègre dans un plus large mouvement de dévotion privée, croissante au XIVe siècle, dont notre oeuvre est un excellent exemple, l’art étant un médium primordial pour la diffusion d’une piété domestique. Le choix des personnages représentés est caractéristique des panneaux centraux de triptyques, utilisés comme une « aide à la prière ». De plus, sa petite taille confirme l’hypothèse selon laquelle il s’agissait d’un objet de dévotion à la destination des laïcs, comparable dans son utilisation à un livre liturgique tel qu’un livre d’Heures ou un missel. 

Bien qu’encore emprunte d’un fort héritage médiéval, notamment remarquable à l’emploi du fond or et du trône massif de la Vierge, notre oeuvre témoigne déjà de la Renaissance naissante des XIIIe et XIVe siècles, plus communément appelée « primitive ». Les artistes tentent de se détacher progressivement de la tradition picturale afin de conférer à leur production une valeur plus « réelle ». Ils annoncent un nouveau courant plastique, matérialisation de l’Humanisme, cherchant à offrir des figures avec un nouveau réalisme, moins symbolique, dont le christianisme s’imprègne pour se rapprocher des fidèles. Les visages de nos huit personnages, aux traits fins et doux, profondément humanisés ainsi que la virtuosité et l’inventivité plastique du peintre s’intègrent donc tout à fait dans la continuité de la production des artistes primitifs en Toscane au XIVe siècle, et en particulier de l’artiste florentin Bernardo Daddi. 

Bernardo Daddi, Vierge et l’enfant, 1334, tempera, 56×26 cm, Les Offices, Florence 

Vierge en majesté à « fond d’or » – Primitif toscan -XIVe siècle

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