Ce splendide Christ a été réalisé en Toscane, Italie, à l’orée du XVIIe siècle. Le travail du bronze confère au Christ un aspect physique idéalisé, notamment permis par la grande précision et profusion des détails.

Une attention particulière est portée à la ciselure des cheveux, de la barbe et des traits du visage qui relève d’une grande sensibilité plastique. Malgré les côtes saillantes du Christ, la torsion du corps épuisé et la tension de ses muscles à l’agonie, une réelle sérénité se dégage de cette oeuvre. Dépouillé de tout caractère divin, pour n’être plus qu’un homme, le Christ n’est vêtu que du traditionnel périzionum, au drapé à forts plis, laissant une hanche découverte. 

Cette pièce est à rapprocher du corpus du plasticien Giambologna (1529-1608). Né Jehan de Boulongne (en flamand) ou Jean de Bologne ou Boulogne (en français) à Douai en 1529, il réalise son apprentissage auprès du sculpteur Jacques du Brouecq (1505v.- 84) dans les Flandres. Vers 1555, il part en Italie, où il est alors appelé Giovanni Bologna (contracté postérieurement en Giambolonia). Artiste complet, à la fois créateur de modèles sculpturaux et iconographiques, il réalise un large corpus de «Corpora Christi». Le vif succès que connurent ses oeuvres est notamment dû à son école. En effet, le plus vraisemblable serait que Giambologna soit à l’origine des modèles initiaux, dessinés puis parfois créés en grand format, et exécutés ensuite par ses élèves, ou successeurs, en petits formats destinés à être offerts, en tant que cadeaux diplomatiques par exemple (notamment par les Médicis). Cette délégation de la production à son atelier, permit de diffuser ses modèles, réalisés en nombre plus important, en particulier à la fin du XVIe et la première décennie du XVIIe siècle. Certains membres de cet atelier se démarquèrent, et connurent une certaine notoriété. C’est notamment le cas d’Antonio Susini qui y travailla dès 1570 et à qui un grand nombre de coulage est attribué. 

Comme dit précédemment, Giambologna ne se contente pas de créer des figures plastiques emblématiques, il conçoit également des sujets. Il entame sa production avec le modèle d’un « Cristo Morto », présentant le Christ mort, la tête baissée en signe d’affliction, en référence au passage biblique « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27:45, Marc 15:34). Il s’agit de la représentation favorisée à la fin du Moyen-Âge, alors que les siècles précédents, et ce dès les premières représentations du Jésus en croix au VIe siècle, avaient privilégiés un Christ encore conscient, sans douleur, avec les yeux ouverts, mais regardant vers le spectateur et rarement tournés vers le ciel. La rupture avec cette tradition a lieu à l’occasion de la réalisation d’un dessin de Michel-Ange, vers 1540, pour Vittoria Colonna, conservé au British Museum, Londres. Jésus-Christ y est alors présenté soucieux, implorant le ciel mais bien vivant et le visage tourné vers le ciel.

C’est dans la continuité de ce nouveau modèle que Giambologna créa son « Cristo vivo » vers 1590. Il abandonne l’aspect pathétique afin de lui conférer une nouvelle grandeur, celle de l’acceptation, telle qu’elle est retranscrite dans l’évangile selon Saint Luc (23:46) : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ! ». Le fils de Dieu est alors représenté libéré de toute souffrance s’offrant à la volonté de son divin Père, vers qui son regard est tourné, et apaisé par la connaissance de sa résurrection. 

De plus, cette évolution du sujet est étroitement liée à son contexte de création. En effet, le concile de Trente eut une grande détonation dans le monde des arts, obligeant les artistes à réviser leurs créations, afin de les adapter aux nouveaux préceptes religieux que favorisait le concile. Parmi eux, l’importance renouvelée du mystère l’incarnation et de l’assurance d’un bonheur céleste éternel permit par la résurrection est primordiale, nécessitant de nouvelles images pour le célébrer. Le travail de Giambologna et son atelier est particulièrement démonstratif de ces interrogations théologiques, où le spectateur doit être convié à partager la béatitude christique et cette méditation divine, selon le modèle de  « l’Imitatio Christi ».

Seul deux versions du « Cristo Vivo » ont été attribuées avec certitude au maître, ou son atelier proche. L’un est conservé au monastère des Descatras Reales de Madrid et le second a été vendu par la maison de vente Sotheby’s le 9 juillet 2004 (lot 7). La qualité de notre pièce ne laisse aucun doute sur sa proximité avec l’atelier de Giambologna. Notre Cristo Vivo serait certainement dû à une production réalisée par l’un de ses successeurs, sur le modèle de l’artiste, exemple concret du rayonnement ainsi que du succès que connut cette figure. De plus, ce modèle de référence transcende le monde sculptural pour s’imposer dans celui de la peinture, comme le prouve le corpus de crucifixion de Guido Reni.

Cristo Vivo – Toscane – Début du XVIIe siècle

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