Cette belle sculpture en pierre polychrome représente une Vierge de pitié ou Pietà. Ce thème n’est pas présent dans la Bible mais découle des récits apocryphes. Il dépeint le moment précédant la Descente de Croix durant lequel la Vierge Marie soutient le corps sans vie de Jésus. Cette scène se distingue de la Déploration du Christ qui implique d’autres personnages.
L’iconographie de la Vierge de pitié se répand en Europe à la fin du Moyen-âge : les premières apparitions du thème se font au XIVe siècle en Allemagne et il apparaît en France et dans les régions du Nord aux XVe et XVIe siècles. C’est toutefois en Italie que le thème connaît son apogée avec la fameuse Pietà de Michel-Ange réalisée en 1499 et exposée dans la basilique Saint-Pierre de Rome. En France, l’iconographie de la Vierge de pitié va connaître un grand succès, notamment en Bourgogne où l’on retrouve encore aujourd’hui de nombreux exemples.
Le goût pour ce thème traduit les mœurs religieuses de l’époque, les fidèles souhaitant se rapprocher de la dimension humaine du Christ et des saints. La Vierge de pitié vient en effet mettre en avant la condition humaine des deux personnages : Marie est représentée dans son rôle de mère qui retient le corps sans vie de son fils. Il s’agit donc de la représentation d’un moment d’intimité, plein d’émotions, qui découle du mouvement de la Devotio moderna.
Ce courant de pensée vise à réformer les bases de l’Église en cherchant à rapprocher le fidèle de Dieu. Les intermédiaires sont supprimés et l’humanité du Christ et des saints est mise en avant afin d’en faire des modèles accessibles de vie et de piété. Grâce à cela, la foi du fidèle devient plus active et l’Homme devient une source de son propre Salut. Pour ce faire, le fidèle cherche à imiter le Christ pendant sa vie sur Terre car en agissant à sa manière, il mérite le Salut.
Notre sculpture a pour particularité de représenter le corps du Christ glissant des genoux de sa mère. La représentation la plus répandue en sculpture est en effet celle du corps de Jésus qui repose sur les genoux de Marie comme figure la Vierge de pitié datée de 1457 et exposée au Petit palais d’Avignon. Plus rarement et dans le cas de notre œuvre, la Vierge peine à retenir le corps inanimé de son fils, qu’elle soutient à l’aide d’un genou et en tenant sa tête et sa main. De telle sorte, le corps du Christ apparaît très lourd et glisse des bras de la Vierge comme pour accentuer le poids que représente la mort de l’enfant aux yeux d’une mère. Elle est résignée, mais l’accompagne dans son tragique destin d’un tendre geste de la main.
Autre élément qui fait la rareté de cette représentation : le regard de la Vierge. Elle ne l’oriente pas vers son fils mais vient au contraire le détourner vers le spectateur et l’invite à la réflexion et à la méditation :
« Je m’adresse à vous, à vous tous qui passez ici ! Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur, A celle dont j’ai été frappée ! L’Éternel m’a affilée au jour de son ardente colère. » (Lamentations 1 : 12)
La Vierge n’est pas dans l’expression de sa souffrance, motif pourtant très commun au thème de la Vierge de pitié. Elle est calme et accepte le sacrifice de Jésus pour sauver l’humanité.
Elle est vêtue, selon la tradition médiévale, d’un riche vêtement composé d’une robe rouge et d’un manteau bleu, parés de détails dorés. Elle est voilée mais laisse ici tomber l’habituelle mentonnière. Ce choix de vêtements reflète l’intérêt de l’époque pour l’industrie textile. Dans certaines régions, comme en Champagne, les artistes habillaient la Vierge et les saints avec des vêtements non pas empreints de véracité historique, mais qui se rapprochaient des goûts vestimentaires de leur temps.
Cette Vierge de pitié possède les caractéristiques de la sculpture champenoise du XVIe siècle. Ce canon est assez unitaire et emprunt d’élégance. Les membres sont allongés, comme ici pour le bras de Marie et les jambes de Jésus. La Vierge est représentée détournant le regard de son défunt fils car elle songe aux récits futurs de la Passion. Le visage de Marie dans la sculpture champenoise est également très caractéristique avec un visage ovale et un front bombé. Son visage est mince et très peu marqué, les joues sont fines et les yeux très peu écartés. Ces yeux sont aussi très caractéristiques avec une paupière dessinée avec un petit bourrelet. Les lèvres sont fines et ouvertes d’une mince fente. La particularité stylistique de notre Pietà réside dans l’allongement des doigts des figures, très longs.
La position du Christ rappelle celle de la Vierge de pitié de l’église Saint-Nicolas de Saint-Nicolas-de-Port en Meurthe-et-Moselle, datée également du XVIe siècle. Le travail stylistique réalisé sur notre sculpture peut être rapproché à l’œuvre du maître de Rouvroy. Le traitement des cheveux de la Vierge et des plis nous rappelle celui employé sur la Vierge à l’Enfant datée du premier quart du XVIe siècle et conservé au musée du Louvre.