Cette très belle sculpture en marbre représente un petit garçon en pleurs accoudé à un tronc d’arbre sur sa droite. Il sèche ses larmes de son bras droit tandis que son bras gauche tient le pan d’un petit tissu qui l’entoure et qui vient se poser sur le tronc. À l’exception de ce drap, le petit garçon est nu et porte sur sa tête un cécryphale, coiffure féminine composée d’un tissu retenant les cheveux en arrière. Son corps aux formes rondelettes se positionne en contrapposto.
Cupidon enchainé, ce motif reprend une allégorie complexe employée par les sculpteurs de la Rome antique au IIe siècle après J.-C. Cette image inhabituelle a suscité l’intérêt des chercheurs, dès le XVIIIe siècle, qui l’ont longtemps qualifiée d’esclave enchaîné. En réalité, il s’agirait de Cupidon enchaîné et dépourvu d’ailes suite à la punition de Némésis. Cupidon est l’équivalent romain du dieu de l’amour Éros. À la différence du dieu grec,
Cupidon n’apparaît pas comme l’une des divinités primordiales et est toujours représenté en putto.
Dans le troisième volume des Argonautiques, Apollonios de Rhodes (vers 295-215 avant J.-C.) transcrit les mots de Vénus à Héra et Athéna au sujet du mauvais comportement de son fils, celui-ci ayant pris la mauvaise habitude de tourmenter les amoureux.
« Mon fils préférerait vous obéir plutôt qu’à moi, car, tout impudent qu’il soit, il peut avoir à vos yeux quelque retenue pour vous, mais il ne se soucie pas de moi, il n’a pas d’égards pour moi et il me provoque toujours. J’ai même pensé, ne pouvant plus supporter sa méchanceté, à le mettre en pièces, en sa présence, avec mon arc et mes flèches. Il me lançait de telles menaces dans sa colère : si je ne gardais pas mes mains immobiles, alors qu’il était encore capable de maîtriser sa colère, alors je le regretterais. ».
Les épigrammes de l’Anthologie palatine par Antipater de Thessalonique (Ier siècle avant J.-C.), décrivent le moment où le petit dieu est privé de ses ailes par Némésis, déesse de la vengeance divine, dans le but de le punir pour son mauvais comportement.
« Qui a attaché tes mains au pilier par un nœud solide?/ Qui a opposé le feu au feu et la ruse à la ruse?/ Mon garçon, pas de larmes ! Ne mouille pas ton doux visage / Car tu te délectes des larmes des jeunes gens ».
Un thème repris de la sculpture romaine, bien que l’iconographie ne soit aujourd’hui pas très connue, il s’agissait d’un thème très répandu dans la Rome antique, notamment au IIe siècle après J.-C., comme en témoignent de nombreuses répliques. Les modèles les plus proches de notre sculpture sont deux marbres antiques : la première est exposée aux Offices de Florence et la seconde à la galerie Borghèse de Rome.
Toutes les répliques sont similaires, ce qui laisse imaginer l’existence d’un archétype unique servant de modèle à la production, qui ne se distingue que par de petits éléments. Le plus ancien connu date de la période Hellénistique (premier siècle avant J.-C.).
De l’antique, notre sculpture reprend la position ainsi que celle du drap. Elle se rapproche davantage du modèle romain de la Galerie Borghèse avec le tronc d’arbre et un cécryphale similaire. La composition ne reprend toutefois pas les chaînes du petit dieu et le sculpteur a choisi de le représenter non séxué.
La démarche du sculpteur de reprendre le modèle antique se traduit surtout dans la composition. Il reprend en effet le contrapposto, position qui permet d’ajouter du dynamisme à une sculpture. Néanmoins, les sculpteurs antiques inséraient généralement un élément afin d’assurer la stabilité de l’ensemble, idée reprise par notre sculpteur avec le motif du tronc d’arbre.
Ce qui diffère largement des deux marbres antiques réside dans le visage de Cupidon : il est ici représenté en bambin non séxué, réel putto aux joues pleines, tandis que les œuvres de Rome et Florence le figurent en petit garçon. La patine et le travail du marbre permet d’affirmer l’ancienneté de l’objet, renforcée par l’utilisation du trépan. Ces éléments nous rappellent les œuvres de Pierino da Vinci (1529-1553), notamment son Putto avec un masque réalisé vers 1544-46. Cette tradition du putto en sculpture a été plus tardivement reprise par des artistes tels que François Duquesnoy dit il fattore di putti.


