La sculpture est classée : Monument historique au titre objet par arrêté du 16 octobre 1964.

Véritable joyau de la statuaire gothique, la Vierge à l’Enfant de Cirey-sur-Vezouze force l’admiration par son niveau de raffinement et par sa monumentalité. Haute de 171 cm, à la silhouette fortement allongée et en contrapposto, elle fait partie des plus impressionnantes sculptures lorraines du premier tiers du XIVème siècle, faisant mentir les traditionnels descriptifs de cette typologie d’oeuvres utilisant les termes de silhouette ramassée, trapue ou robuste. L’oeuvre est influencée par la sculpture « courtoise » d’Ile-de- France de la fin du XIIIème siècle, notamment par sa silhouette exagérément curviligne, son manteau remontant en tablier sur le devant de sa robe et par l’iconographie de l’enfant tenant un oiseau. Toutefois elle emprunte aussi à l’École lorraine ses particularités : cous épais, visages en écusson, yeux en amandes et oreilles décollées pour l’Enfant. Conservée jusqu’au début du XIXème siècle dans l’église abbatiale de Haute-Seille (Meurthe et Moselle), filiale de la célèbre abbaye de Morimond, elle témoigne de la place capitale de l’iconographie mariale dans l’art cistercien du XIVème siècle. Malgré les vicissitudes de l’histoire de cette abbaye, elle présente un état de conservation remarquable.

Taillée en fort relief dans un seul grand bloc de calcaire au grain serré, cette majestueuse madone se tient debout dans un fort contrapposto représentant un moment de grande tendresse. Elle porte sur la hanche gauche l’Enfant Jésus vêtu d’une tunique longue et pointant de son index (manquant) un petit oiseau qu’il tient fermement de la main droite. Ce détail iconographique, hérité du vocabulaire marial parisien, traduit à la fois l’innocence de l’Enfant et le pressentiment de sa Passion, l’oiseau étant traditionnellement associé au sacrifice à venir. La Mère de Dieu est coiffée d’un voile court et d’une couronne à fleurons qui encadrent son visage plein et large à l’expression pensive entouré d’une belle chevelure ondulante. Son bras droit se dégageait originellement de deux pans de son manteau tombant en cascade de plis aujourd’hui accidentés. Le pan intérieur du manteau est relevé en oblique sur le devant de la robe. Il cache en grande partie une ceinture à motifs de rosettes, attribut vestimentaire largement diffusé dans l’iconographie du XIVème siècle et considérée comme symbole de la virginité de la Vierge. Le réseau raffiné de plis du drapé du manteau dont les bordures sont suggérées par un délicat liseré accompagne, par un relief assez discret, les profonds creux des plissés de la robe en partie inférieure. Quoiqu’accidenté, le revers présente une exécution extrêmement soignée par le jeu savant du voile court et des plis à bec latéraux du manteau mettant en valeur la gracieuse silhouette curviligne. La sculpture présente par endroit au moins quatre couches de polychromie, témoignant des soins prodigués au cours des siècles à cet objet de culte très important.

La Vierge à l’Enfant de Cirey-sur-Vezouze s’impose comme un rare témoignage de l’École lorraine du XIVᵉ siècle. À cette époque, le modèle de la Vierge debout tenant son Enfant s’affirme, remplaçant peu à peu l’iconographie plus ancienne de la Mère de Dieu assise en majesté. L’historien de l’art Josef Adolph Schmoll rattache dès 1970 cette oeuvre aux productions lorraines, en la rapprochant des ateliers actifs dans le sud de la Champagne et le nord de la Bourgogne, notamment celui de Mussy-sur-Aube. Il la cite parmi un petit groupe de statues de même inspiration, tout en soulignant la singularité d’une Lorraine restée largement imperméable aux influences burgondochampenoises. Dans son grand répertoire publié en 2005, Schmoll affine son analyse et classe définitivement la Vierge de Cirey parmi les Vierges dites « zentrallothringischen », issues d’ateliers de la région de Metz. Ces sculptures se distinguent par leur sobriété : un drapé en tablier retombant sur le devant du corps, resserré à la taille par une ceinture et maintenu sur la poitrine par un cordon à pompons. La Vierge de Cirey illustre parfaitement ce style, que Schmoll situe autour de 1335-1340, la rapprochant de la Vierge de Munster, datée de 1315-1320.

Notre Vierge à l’Enfant provient de l’abbaye cistercienne de Haute-Seille, fondée en 1140 dans le diocèse de Toul, sur les terres de l’évêché de Metz. Sa création est liée à la comtesse Agnès de Langstein, soeur et vassale de l’évêque Étienne de Bar. Haute-Seille était une filiale directe de l’abbaye de Morimond, l’une des quatre grandes filles de Cîteaux, avec La Ferté, Pontigny et Clairvaux. Fondée en 1117, Morimond occupait une position stratégique, tant géographique que spirituelle, et servait de point de départ à l’expansion cistercienne vers l’Empire et l’Europe centrale. C’est de là que les « moines blancs » de l’abbaye bourguignonne de Theuley, elle-même sous l’autorité de Morimond, partirent fonder Haute-Seille. La tradition souligne aussi le rôle de saint Bernard de Clairvaux, dont les liens avec l’évêque Étienne de Bar favorisèrent la naissance de cette communauté.

Dès le VIIIᵉ siècle, la Vierge s’impose comme un modèle spirituel pour les moines : Mère de Dieu, médiatrice auprès du Ciel, elle incarne pureté et vie spirituelle. Les cisterciens lui vouent une place toute particulière. Pour eux, Marie reflète leur idéal : unir l’action et la contemplation dans une quête tournée vers le Christ. Toutes leurs églises lui sont dédiées, comme un sceau institutionnel de cette dévotion. À Haute-Seille, cette ferveur prend une forme concrète à la fin du XIVᵉ siècle, avec la création de la confrérie de « l’Annonciation de Notre- Dame ». Son sceau montre la Vierge couronnée, assise avec l’Enfant Jésus et tenant un lys, symbole de pureté et de royauté spirituelle. Ce culte marial crée pourtant une tension avec l’austérité cistercienne. Les abbayes de l’ordre se veulent sobres : lignes claires, plans simples, matériaux réduits à l’essentiel. En 1134, le Chapitre général interdit d’ailleurs toute sculpture ou décor, afin que rien ne détourne de Dieu. Et pourtant, l’image de la Vierge à l’Enfant trouve naturellement sa place dans ce dépouillement. Elle ne distrait pas, elle guide : la tendresse de la Mère et de l’Enfant devient support de méditation, chemin vers le mystère de l’Incarnation.

L’abbatiale de Haute-Seille, dont subsistent quelques vestiges, illustre bien ce contraste. Construite en grès rose et gris, orientée en croix latine, elle s’élevait sur un plan rectangulaire aux lignes strictes. Le visiteur franchissait alors le portail roman à cinq grandes arcades, toujours visible aujourd’hui, et découvrait, dans la lumière sobre de l’édifice, la monumentale Vierge à l’Enfant. Par ses dimensions impressionnantes, elle dominait l’espace, touchant à la fois le coeur et l’esprit, et transformant l’austérité de la pierre en élan de dévotion. Notre Vierge à l’Enfant compte parmi les plus grands exemplaires en dimensions de Vierge à l’Enfant lorraines répertoriés dans le catalogue de J.A. Schmoll. La conservation et l’état remarquables de cette oeuvre semblent miraculeuses tant l’histoire de l’abbaye de Haute -Seille a été marquée par les vicissitudes et les vexations. Un article récent indique qu’elle connut des grandes périodes de dévastation, en 1284, 1385 et 1420, puis dévastée lors de la guerre opposant Charles Quint à la France vers 1556. En 1635, les moines furent contraints d’abandonner leur monastère en ruines. Symbole de l’abbaye au XIVᵉsiècle, la statue elle-même semble avoir souffert de ces épreuves : la tradition raconte qu’on la retrouva, en décembre 1766, au fond d’un étang voisin, depuis appelé « l’Étang de la Vierge ». Son retour fut perçu comme une redécouverte miraculeuse, et elle retrouva alors place dans une église reconstruite dans le style baroque classique au XVIIIᵉ siècle.

Mais les bouleversements de la Révolution française mirent un terme à cette renaissance. L’abbaye fut pillée en août 1789, puis déclarée bien national. Son mobilier fut dispersé en 1791, certains habitants de Tanconville obtenant même reliques et objets de culte pour leur église. Mise en vente en décembre de la même année, l’abbaye ne trouva pas preneur ; elle fut louée, puis progressivement vendue et morcelée. Au début du XIXᵉ siècle, il ne restait plus que des ruines. L’intérêt pour le site ne renaquit qu’à partir des années 1830, avec l’émergence de la protection des monuments historiques. Des fouilles sommaires révélèrent alors sarcophages, ossements, fragments de vêtements, médailles et sculptures, parmi lesquelles une sainte Catherine et un saint Sébastien, aujourd’hui conservés au musée du Pays de Sarrebourg. Après de longues recherches historiques au XIXᵉ siècle, le site fut finalement inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1927.

Quant à notre Vierge à l’Enfant, elle fut transférée en 1821 dans la chapelle privée Notre-Dame-de-Pitié à Cirey-sur-Vezouze. Dans la première moitié du XXᵉ siècle, elle entra en possession d’un antiquaire nancéien et appartient depuis à ses descendants. Sa haute valeur artistique et son intérêt patrimonial ont été officiellement reconnus en 1964, date à laquelle elle a été classée Monument historique au titre objet (arrêté du 16 octobre 1964). La Madone de Cirey-sur-Vezouze est un exemple exceptionnel et rarissime qui s’inscrit dans la tradition des Vierges cisterciennes dont le plus célèbre exemple est la Vierge à l’Enfant datant de la fin du XIIIème siècle conservée à l’abbaye de Fontenay.

Par son élégance et sa monumentalité, la Vierge à l’Enfant de Cirey-sur-Vezouze traverse les ruines et les siècles comme un éclat d’éternité. Elle incarne à la fois la mémoire d’Haute-Seille et l’élan spirituel des moines qui l’ont admirée. Aujourd’hui encore, son regard silencieux continue d’inviter à la contemplation.

Expertise de Elodie Jeannest de Gyvès, experte en sculpture, membre du SFEP.

Vierge à l’enfant – France, Lorraine – 1330 / 1340

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